Durant le mois de février, je me suis rendue avec Sébastien et Frédéric à Mons. Nous avions rendez-vous pour rencontrer une gentille Japonaise qui nous avait contactés ainsi que son mari. Nous avons profité de cette occasion pour visiter la ville, prendre des photos et se faire un chouette restaurant entre nous (et ce fut vraiment délicieux).
Ayant grandi à Mons, j’ai voulu partager avec eux les lieux qui ont marqué mon enfance et mon adolescence. Ils m’ont alors accompagnée au beffroi, à mon ancienne école ainsi qu’au parc qui se trouve tout près où nous allions faire nos séances de sport en extérieur.
Nous avons également visité un monument très important pour la ville, la collégiale Sainte-Waudru. C’est dans cet édifice que je leur ai parlé du folklore montois auquel j’ai eu le bonheur de participer durant ma jeunesse lorsque je revêtais le costume de chanoinesse pour la procession annuelle des reliques de Sainte-Waudru.
Ils ne connaissaient pas du tout cet événement culturel qui est pourtant très ancré dans la vie montoise. C’est alors qu‘ils m’ont conseillée de vous en parler afin de partager cette coutume belge qui mérite d’être mieux connue. Dans le cadre de la mission de Wallonihon qui est de favoriser des échanges culturels entre Japonais et Belges, c’est effectivement très pertinent. Merci à eux pour la suggestion 😊
C’est devant ces œuvres que nous avons commencé à parler du doudou…
A l’avant-plan se trouve le « Car d’Or ». Il s’agit du char processionnel en bois sculpté, peint et doré qui a été réalisé à la fin du XVIIIe siècle dans le style Louis XVI. Notez qu’il est encore utilisé de nos jours ! Sa longévité étonnante s’explique par le fait qu’il a été restauré et renforcé.
A l’arrière-plan se trouve le tableau intitulé « Sainte-Waudru et ses filles rendant visite aux prisonniers » peint par Antoine Van Ysendyck (1801-1875). Sainte-Waudru y est représentée en abbesse, dans un costume de chœur du XVIe siècle, celui-là même dont s’inspirent les costumes de chanoinesses du XVIe siècle utilisé à l’heure actuelle lors de la procession.
Sur la photo, vous pouvez voir que j’ai eu la chance immense de porter ce costume, je l’ai même fait plusieurs années de suite. On y meurt de chaud sous la chaleur et le soleil de juin mais c’est un tel honneur que l’on supporte aisément l’inconfort 😉
Sainte-Waudru? Chanoinesses? De qui parlons-nous ?
La patronne de Mons, Waudru, naît en 612 d’une famille aristocratique près de Maubeuge. Elle épouse le comte Maldegaire et ensemble, ils ont 4 enfants. Une fois l’éducation des enfants menée à terme, les époux décident d’un commun accord de se séparer afin d’entrer dans la vie religieuse, chose qu’ils ont toujours tous deux désirée.
Waudru fonde alors une communauté religieuse féminine sur la colline de Castri Locus qui deviendra Mons dans les siècles suivants. Waudru est reconnue pour sa vie exemplaire et, après sa mort survenue en 688, la « vox populi » la déclare sainte, ce que l’Eglise confirmera en la canonisant en 1039.
A un moment imprécis de l’histoire, la communauté religieuse de Waudru se muera en monastère. La première mention écrite attestant ce fait « monasterium de Castri Locus » date de 833. Ce monastère était probablement soumis à la règle de Saint-Benoît mais il n’y a, là encore, aucune certitude.
Ce fait de vivre en respectant des règles religieuses, aussi appelées des « canons » donne le mot « chanoinesse » (canonicae). Les chanoinesses sont donc des femmes qui vivent selon des canons. La première mention connue de ce terme « chanoinesse » dans les textes a lieu en 1123.
A Mons, ces femmes nobles ont pour rôle, outre l’assiduité aux offices religieux, avant tout de veiller à la conservation des reliques de Sainte-Waudru et aider les pauvres dans le besoin. Les chanoinesses mènent une vie consacrée à Dieu mais ne prononcent cependant pas les vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance que prononcent d’ordinaire tous les religieux et religieuses entrant dans un ordre. En effet, les chanoinesses restent libres de se marier et fonder une famille dès qu’elles ont atteint l’âge de 25 ans.
Vers 1450, c’est sous l’impulsion des chanoinesses qu’est érigée la fameuse collégiale Sainte-Waudru qui se dresse encore aujourd’hui dans la ville multiséculaire. C’est dans cet édifice qu’elles sont, depuis, ensevelies à leur trépas.
L’existence des chanoinesses a pris fin à la Révolution française qui a supprimé tous les chapitres ainsi que certaines congrégations religieuses. Les chapitres n’ont jamais été recréés ensuite mais les Montois gardent un certain attachement à leurs chanoinesses, spécialement celles des XVIe et XVIIIe siècle, toujours représentées lors de la procession du Car d’Or.
Mais tout ça ne nous explique pas ce qu’est le doudou, me direz-vous… J’y viens !
Origine:
La ducasse de Mons a lieu chaque année lors du week-end de la Trinité (57 jours après Pâques). On l’appelle également « doudou » en référence à un air musical abondamment joué durant ces festivités.
Cette fête a déjà une longue histoire vu que son origine remonte au Moyen Âge même si on ne connait pas avec exactitude la date de début. La première mention écrite connue qui atteste de son existence date de 1248.
Une croyance populaire veut que, frappée par la peste noire, la population s’est mise à prier Sainte-Waudru afin que la ville soit sauvée. Alors que la peste a effectivement disparu, il a été décidé de faire chaque année une procession en l’honneur de la Sainte. Cette croyance encore très répandue ne représente cependant pas la réalité historique.
En effet, la fameuse épidémie de peste noire a atteint l’Europe entre 1347 et 1352. On voit donc que les dates ne correspondent pas. Cela dit, et qu’importe ce qui a conduit à la naissance de cette tradition, les Montois y sont très attachés et y participent encore très massivement. Depuis 2005, la ducasse de Mons est reconnue comme chef-d’œuvre du patrimoine oral et immatériel de l’humanité par l’UNESCO. Son nom officiel est dès lors « Le Doudou, ducasse rituelle de Mons. »
Déroulement:
La ducasse de Mons comporte 2 temps forts :
- Le « jeu de Sainte-Waudru » qui commence le samedi de la Trinité et se poursuit le lendemain
- Le « jeu de Saint-Georges qui combat le dragon », également appelé le « Lumeçon » qui se tient le dimanche
1. Le jeu de Sainte-Waudru :
Le samedi à 20h a lieu une cérémonie publique, en présence des femmes figurant les chanoinesses ainsi que des personnalités publiques de la Ville. On descend la châsse contenant les reliques de Sainte-Waudru qui se trouve habituellement suspendue au-dessus du chœur. Le doyen de la paroisse montoise prononce alors un discours remettant les reliques de Sainte-Waudru sous l’autorité du bourgmestre afin que celui-ci en assure la protection et la sécurité lors de la procession du lendemain.
Le dimanche à 9h30, un cortège historico-religieux se forme sur la place du chapitre afin de démarrer la procession. Ce cortège est composé d’environ 60 groupes, soit près de 1500 participants, représentant les personnages importants dans l’histoire de la ville! Vous pourrez trouver le détail de tous ces groupes via ce lien : https://www.processionducardor.be/group/
La châsse de Sainte-Waudru, posée sur le Car d’Or en queue de cortège est conduite à travers la ville et il y a alors une grande ferveur populaire. Notez que les Montois croient qu’un mouchoir frotté sur la châsse leur apportera la chance et la guérison des maladies.
Le périple à travers la ville s’achève avec la remontée du Car d’Or via la rampe Sainte-Waudru pour retourner à l’intérieur de la collégiale. La rampe Sainte-Waudru est une ruelle en pavés ayant une forte pente (20%) et le Car d’Or étant très lourd (estimé à 4 tonnes environ), il y a toujours un risque qu’il ne puisse pas la monter.
C’est pour cela, qu’en plus des 6 chevaux de trait, la foule s’amasse derrière pour l’aider à monter. La légende dit en effet que si le Car d’Or n’arrive pas en haut de la rampe Sainte-Waudru d’une seule traite, un grand malheur s’abattra sur la ville dans l’année. Le Car d’Or ne serait pas monté en 1914 et en 1940. Il n’est pas monté non plus en 2020 ni en 2021 (annulation causée par la pandémie du COVID-19).
2. Le jeu de Saint-Georges qui combat le dragon
Cette reconstitution du combat de saint Georges contre le dragon constitue l’apogée de la Ducasse de Mons. On l’appelle également « Lumeçon », mot qui désignait anciennement certains spectacles équestres en raison des mouvements circulaires des cavaliers.
Le lumeçon a lieu le dimanche de la Trinité sur la Grand-place de Mons. Le déroulé de ce combat ne doit rien au hasard, tous les éléments y sont très codifiés : les personnages représentés, les couleurs, les armes…
Point important : Saint-Georges n’évolue que dans le sens horlogique, symbolisant le chemin normal tandis que le dragon, porté par 11 hommes blancs et soutenu au niveau de la queue par 8 hommes de feuilles, ne tourne que dans le sens contraire. Avant de terrasser le dragon, Saint-Georges essaie d’abord, symboliquement, de le remettre dans le droit chemin en inversant sa course, sans succès. Autour de ces principaux protagonistes, 12 chinchins protègent Saint-Georges des 11 diables armés de vessies. Cybèle et Polyade aident également le héros et ses acolytes dans ce combat.
D’un point de vue physique, les hommes blancs et les hommes de feuilles sont soumis à rude épreuve. De fait, outre le poids du dragon, ils doivent également récupérer régulièrement la queue de celui-ci, prise littéralement d’assaut par le public qui veut en arracher le crin. Le crin du dragon, noué tel un bracelet au poignet est en effet considéré comme un porte-bonheur.
Les membres les plus prudents du public se contentent généralement d’inspecter le sable de l’arène après le combat à la recherche de ce fameux crin de dragon.
La fin des festivités…
Le dimanche suivant, la châsse de Sainte-Waudru est remontée au-dessus du chœur de la collégiale lors d’une cérémonie assez simple. Notons encore que depuis une vingtaine d’années, les enfants ont leur « petit lumeçon » ce même dimanche qui suit la ducasse.
Voilà chers amis, j’espère vous avoir appris quelque chose et surtout, j’espère vous avoir intéressés à ce folklore auquel je reste moi-même attachée bien que ne résidant plus à Mons. J’aurais pu fournir encore beaucoup plus de détails mais je craignais que cet article se transforme alors en véritable livre. Je vous invite cependant à poursuivre votre recherche d’informations si le cœur vous en dit…
Jennifer, pour Wallonihon