Le charme d’Uchiko

Lorsqu’Ayaka Sakamoto, guide touristique et amie, me parla de la ville d’Uchiko (内子), je constatai avec regret que ce nom m’était totalement inconnu mais très vite, mon ignorance fit place à une curiosité débordante !

En avril dernier, l’occasion se présenta de partir à la découverte de cette petite ville de la préfecture d’Ehime et située à une quarantaine de kilomètres de Matsuyama. C’est ainsi que nous prîmes la route… Au fur et à mesure de notre progression,  le paysage révéla toute sa beauté et fit place à de magnifiques forêts, montagnes et cours d’eau.

Nous nous arrêtâmes au marché local d’Uchiko « Karari Farmers Markets », l’occasion de découvrir les productions artisanales régionales : charcuterie, riz, alcools, produits fabriqués à base de jabara, un citron japonais … Mais aussi de profiter du charme de cet endroit bordé par la rivière Odagawa.

Nous continuâmes ensuite notre chemin jusqu’à notre destination…

Très vite, je fus séduit par Yôkaichi, le cœur historique d’Uchiko, sa tranquillité et ses constructions datant de l’époque Meiji. On y découvre avec plaisir de petits restaurants, des commerces locaux proposant rafraichissements, créations artisanales mais également de sublimes témoins du passé.

En effet, au XIXe siècle, Uchiko connut une grande période de prospérité grâce au commerce de la cire végétale dont la haute qualité permit à celui-ci de s’étendre bien au-delà des frontières du Japon. Aujourd’hui encore, de nombreux bâtiments témoignent de l’essor économique de la ville à l’époque.

Mais avant de partir à la rencontre des ces témoins silencieux, nous nous arrêtâmes au commerce-atelier « Ômori Warôsoku » (大森和蝋燭) spécialisé dans la fabrication de bougies en cire naturelle depuis la période Edo.

Lorsque nous franchîmes la porte, une douce odeur de cire embaumait l’air et je fus immédiatement séduit par l’atmosphère de ce lieu. Nos regards se posèrent alors sur les artisans occupés à œuvrer pour la fabrication d’autres bougies avec une rapidité d’exécution très impressionnante. Ces dernières, contrairement aux bougies industrielles, n’émettent pas de fumée et ne coulent pas.

Si vous vous intéressez à l’artisanat traditionnel, arrêtez-vous et profitez de cet endroit imprégné par la transmission d’un formidable héritage.

Revenons-en maintenant aux lieux jadis dédié au commerce de la cire. C’est notamment le cas de la résidence Honhaga, ancienne demeure d’un riche marchand et construite au moment où la production atteignit son plus haut développement, tant en terme de qualité que de technicité. Ce bâtiment brille par la richesse de sa décoration extérieure et constitue un fabuleux témoin de l’architecture de l’époque.

Un autre édifice emblématique du quartier est sans aucun doute la résidence Kamihaga. Ouverte aux visiteurs, le bâtiment principal a été construit en 1894 et est classé comme Bien Culturel Important du Japon depuis 1990.

Passée l’entrée, c’est un véritable retour dans le passé qui vous immerge dans la vie des riches marchands de l’époque. Les pièces se succèdent dévoilant tout le charme de cet endroit.

D’ailleurs, vous aurez probablement remarqué une similitude entre les noms Honhaga et Kamihaga. En effet, cette dernière est une lignée de la famille Honhaga qui constituait la branche principale de la famille Haga. Je n’ai d’ailleurs pas pu m’empêcher de remarquer le blason (Kamon – 家紋) de la famille représentant une fleur d’Oxalis (Katabami – カタバミ) et visible à de multiples endroits dans ces deux résidences. Si vous passez par-là, ouvrez l’œil 😉

Au fil de notre visite, je compris rapidement que ce lieu était bien plus que l’ancienne demeure d’un négociant de cire car nous découvrîmes plusieurs bâtiments annexes dédiés à tout le processus de fabrication de la cire végétale.

Mais qu’est-ce que la cire végétale japonaise ? Dans sa brochure touristique, l’office du tourisme d’Uchiko offre une explication très claire du processus et que voici : « La cire japonaise est fabriquée à partir des baies du sumac. Les baies sont écrasées en une fine poudre, étuvées, puis la cire est extraite et durcie. C’est ce qu’on appelle la cire brute (kirô). La famille Haga blanchit la cire avec sa propre technique de blanchiment originale pour obtenir une cire blanche de haute qualité (hakurô). La cire brute et la cire blanche sont généralement appelées cire japonaise (mokurô) ».

Historiquement, la production de cire a débuté dans le courant du XIXe siècle jusqu’à la fin de la période Taishô (1912-1926). En raison des progrès techniques et du développement de l’électricité, la demande diminua et sonna le glas de cet artisanat en 1924 lorsque le dernier commerçant de cire d’Uchiko fermit ses portes. Aujourd’hui, la résidence Kamihaga constitue le seul endroit d’Uchiko où est encore produite de la cire artisanale.

Si vous souhaitez en apprendre davantage, je ne peux que vous recommander de visiter le Musée de la cire japonaise abrité dans l’une des annexes de la résidence Kamihaga. Un espace très intéressant qui vous permettra de faire le lien entre les outils et équipements présents à l’extérieur et le processus de fabrication.

Le temps s’écoula rapidement et il fut l’heure de reprendre des forces. Bien qu’il existe de nombreux restaurants, notre choix se porta sur le restaurant de soba « Shimohagatei »(下芳我邸) établi dans un bâtiment vieux de 140 ans et dans-lequel les propriétaires ont recréé le plus fidèlement possible l’ambiance de l’époque, que ce soit dans le choix du mobilier ou des pièces de vaisselles. Le repas fut excellent et une fois encore, nous pûmes nous imprégner de l’ambiance de ce restaurant un peu hors du temps.

Bien qu’il existe de nombreux bâtiments très intéressants, je m’arrêterai un moment sur une dernière construction remarquable, le théâtre d’Uchiko ou Uchikoza (内子座) construit en 1916 en l’honneur de l’accession au trône de l’empereur Taishô. Construit sur deux niveaux dans le plus pur style japonais, j’ai été surpris de retrouver une scène tournante dont il est possible de visiter la partie inférieure. Nommée « Naraku » signifiant « Enfer », je vous laisse imaginer pourquoi. À notre sortie, nous pûmes nous vanter d’être allé en enfer et d’en être revenu !

Mais notre aventure ne s’arrêta pas là car Uchiko recèle encore d’autres merveilles… Ainsi, grâce à la présence de la rivière Odagawa, Uchiko pu se lancer dans la production d’une matière d’une grande finesse, le papier Washi (和紙). Cette tradition née à Uchiko il y a près de 350 ans perdure depuis plusieurs générations et constitue un véritable trésor qu’il convient de préserver.

Nos pas nous menèrent au cœur de la fabrique de papier Ikazaki où nous pûmes rencontrer l’artisan papetier Chiba-san qui nous expliqua les bases du processus de fabrication. Le papier fabriqué repose principalement sur l’utilisation du Kôzo (楮), mûrier à papier et du Mitsumata (三椏). Le premier est caractérisé par de longues fibres, ce qui en accroit la résistance. C’est également à base de Kôzo qu’a été réalisé le « Hyakumantō Darani » (Un million de pagodes et de prières Darani) vers 770, le plus ancien texte imprimé du Japon ! À l’inverse, les fibres du second sont plus courtes mais permettent la confection d’un papier supérieur marqué par une surface lisse et brillante.

Après la récolte s’ensuit un long processus de traitement qui permettra au produit fini de révéler toute sa beauté. Les matières végétales sont d’abord étuvées et lavées à l’eau pour en extraire les fibres. Ensuite, celles-ci sont déchiquetées afin d’en faire une pulpe qui sera ensuite mélangée à du Neri (ネリ), une substance contenant de l’amidon et utilisée comme dispersant dans une sorte de cuve, le Suki-bune (漉き舟). L’artisan se munit alors d’un tamis en bambou, Suketa (簀桁) qu’il plonge dans la cuve. Avec un mouvement répété de balancier, la matière se fixe sur le tamis et l’excédent d’eau est évacué. Les feuilles sont alors empilées, séchées naturellement et pressées dans le but de réduire le volume d’eau contenu dans le papier et d’en supprimer les aspérités. Enfin, ces dernières sont placées une à une sur un séchoir métallique.

De la place d’observateur, nous passâmes rapidement à celle d’acteur car nous eûmes l’opportunité de fabriquer notre propre feuille de papier sans la première étape de séchage et le pressage. Il en résulta un papier « brut » mais authentique, sublimé par ses défauts.

Étant particulièrement admiratif de l’artisanat, cette expérience me permit de ressentir, l’espace d’un moment, toute la qualité de ce savoir-faire et d’en mesurer la difficulté. En effet, lorsque nous regardons une vidéo ou des photo, nous voyons un artisan versé dans sa pratique depuis des années et pour-lequel chaque geste a été maintes fois répété. Lorsque je pris le Suketa dans les mains et le plongeai dans l’eau, j’en ressentis le poids. Mes gestes manquèrent de coordination mais je ressentis pleinement la valeur de ce moment et de cette rencontre.

Une fois notre feuille prête à l’emploi, nous participâmes à un second atelier visant à faire de notre création la couverture d’un carnet relié au moyen d’une technique japonaise, la reliure à poche Fukurotoji (袋綴).

Mais quelles sont les caractéristiques de ce type de reliure ? Tout d’abord, les feuilles de papier sont pliées et empilées les unes sur les autres avant de placer la couverture et de coudre l’ensemble.  Mais la particularité se trouve au niveau des bords du pli des feuilles constituant le carnet. Comme vous pouvez le voir sur la photo ci-dessous, le pli se trouve sur la partie externe du livret. Ainsi, c’est la partie libre du papier qui est cousue et lorsque que l’on observe ce dernier, il se présente sous la forme d’un tube. C’est ainsi qu’entre les mains, je tins un fabuleux souvenir imprégné de la magie de cette journée et qui m’accompagnera lors de mon prochain voyage…

Notre voyage à Uchiko touche bientôt à sa fin mais nous terminâmes cette journée en passant par la boutique située en face de l’atelier.

Source: Ayaka Sakamoto

Pour les amateurs de papeterie, c’est un arrêt obligatoire qui vous permettra d’apprécier toute la diversité des papiers produits à Uchiko et de vous arrêter sur les magnifiques exemples de dorure sur papier, une technique développée par Hiroyuki Saito (齋藤宏之) qui suivit les enseignements de Gabor Ulveczki, artiste peintre d’origine hongroise et installé à Paris depuis 1983.  Ce dernier ouvrit son propre atelier d’arts plastiques qui aboutira à la création de la marque ULGADOR, une entreprise française spécialisée dans la fabrication de papier-peints, panneaux muraux, etc. De 2008 à 2009, il séjourna deux ans à Uchiko dans le cadre d’un projet visant à moderniser la tradition du papier Washi.

Source: Ayaka Sakamoto
Source: Ayaka Sakamoto
Source: Ayaka Sakamoto

Et si d’aventure vous souhaitez déambuler dans les rues, faites un arrêt au distributeur d’origami ! Une machine atypique qui vous permettra d’emporter un souvenir original dont le poids n’impactera nullement la limite imposée par les compagnies aériennes.

Source: Ayaka Sakamoto

Uchiko n’a toutefois pas encore livrée tous ses secrets et bien que je n’eus pas l’occasion de le visiter, cette petite ville abrite un musée dédié aux cerfs-volants permettant à tout un chacun de s’émerveiller devant la diversité de ces objets virevoltant aux quatre vents mais aussi d’approfondir ses connaissances sur l’histoire de la région.

Source: Ayaka Sakamoto

En outre, il vous sera possible de participer à une expérience qui lèvera le voile sur la fabrication du charbon de bois utilisé dans la cérémonie du thé. Situé dans le quartier d’Ishidamami, à l’Est d’Uchiko, l’atelier fabrique  du charbon de bois ayant la particularité d’évoquer la fleur de chrysanthème !

Si vous souhaitez en savoir plus, je vous invite à consulter le site Internet d’Ayaka Sakamoto qui a développé son entreprise sous le nom d’ « Une Tokyoite » et dont vous trouverez les liens en fin d’article.

Ainsi s’achève cette formidable aventure humaine faite de rencontres et d’enseignements. Du début à la fin, cette journée fut une succession de magnifiques surprises alors si vous projetez de voyager à Shikoku, rendez-vous à Uchiko, imprégnez-vous de son atmosphère et laissez-vous charmer par sa richesse !

Je tiens à remercier Ayaka Sakamoto pour l’organisation de cette journée, l’énergie et le temps qu’elle a consacré à ce projet et sans laquelle je n’aurais pu écrire cet article. Je remercie également chaleureusement Michiko Miyoshi de l’Office du tourisme d’Uchiko pour son accueil et qui m’a permis de mener à bien ce projet, sans oublier Chiba-san et Aoyama-san qui nous ont guidé dans les deux ateliers auxquels nous avons participé.

Pour en savoir plus, n’hésitez pas à consulter les liens ci-dessous :

Ayaka Sakamoto :

Office du Tourisme d’Uchiko :

内子町観光協会【公式】 (@visit_uchiko) • Photos et vidéos Instagram

一般社団法人内子町観光協会 | Kita-gun Ehime | Facebook

YouTube : 内子町観光協会_Uchiko Tourism Association – YouTube

Ikazaki :

Commerce-atelier Omori Warosoku :

Restaurant de Soba « Shimohagatei » :

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